Parce que Syberia, c’est typiquement le jeu qui marque autant qu’on a tôt fait d’oublier. Pas forcément complètement. On en refoule l’intensité de son épopée au point de ne plus l’avoir forcément en tête pour le citer de soi-même dans on ne sait quel débat intellectuel entre passionnés. Ce qui n’empêche pas de se surprendre à ressentir une intense vague de nostalgie et d’émotion quand on aborde le sujet par on ne sait grand hasard. Puis, une petite once de honte : « Mais comment a-t-on pu oublier ce jeu qui nous a pourtant tant retourné souris en main ? ». Dans le doute, on retrouve le jeu, voire cela nous obsède tellement qu’on se le rachète pour les plus malheureux qui ne le posséderaient plus, puis on le relance. Peut-être de manière un peu farouche, perplexe que le titre ait réussi à supporter le poids des années sans prendre de rides. Car lorsqu’on fouine dans nos souvenirs, les moments passés sur Syberia à l’époque étaient magiques, ce qui serait par conséquent fort décevant de constater que le recul altère le constat jusqu’à le rendre obsolète.
On a tôt fait de se rassurer : même pas besoin de cliquer une fois pour se rendre compte que notre esprit n’idéalisait pas notre expérience passée, la cinématique d’introduction suffit d’elle-même pour raviver à qui veut bien le revoir toute l’admiration que Syberia pouvait susciter à l’époque. D’autant plus lorsqu’on s’y était penché en se fiant uniquement à sa jaquette. Modeste, cela ne laissait rien paraître d’énorme. Suffisant, cela inspirait assez pour que cela ne nous semble pas trop mauvais. Et au final, les apparences sont assez trompeuses. Sans qu’elles ne soient si fausses que cela. Car Syberia, c’est à la fois de la modestie et de la suffisance.
Modeste par son gameplay. Jouabilité simple, épurée pratiquement à son maximum, ce qui ne l’empêche par ailleurs pas d’être efficace. Sa longueur l’est tout autant et ses six à huit petites heures de durée de vie – mais quelles heures ! - représentent bien là le seul défaut majeur du soft. Énigmes qui ne brillent pas par leur inventivité, créativité ni même leur difficulté mais au moins ont-elles l’avantage d’être logiques, tellement qu’on y réfléchira à peine. Ce qui nous permet de nous focaliser sur le plus important : sa suffisance. Des décors magnifiques – pour l’époque – qui ont de quoi laisser rêveur, une histoire captivante et une ambiance… Cette ambiance ! Entre onirisme, poésie et mélancolie, on a tôt fait de se laisser prendre au piège séduisant que nous balance Benoît Sokal avec son épopée qui nous fait traverser l’Eurasie d’ouest en est à bord d’un Transsibérien automate. Impossible de rester de marbre à moins de vous être fait arracher le cœur avec toutes ses formes de sensibilité. L’aventure de cette avocate américaine, Kate Walker, en quête d’un héritier disparu de la circulation depuis qu’on l’a fait passé pour mort il y a des lustres de cela, qui la mènera des Alpes françaises jusqu’aux frontières de la Russie sibérienne envers et contre tout son entourage, vous émoustillera de tout son long. Quel que soit le nombre de fois qu’on pourra bien la faire, la première et la centième fois ne variant pas d’un iota en terme d’émotions transmises et ressenties.